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L’employeur ne peut utiliser les fichiers non identifiés comme personnels pour sanctionner le salarié s’ils s’avèrent relever de sa vie privée

Selon un Arrêt de rejet de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 05/07/2011, le fait pour un salarié de détenir dans sa messagerie professionnelle des messages à caractère érotique et entretenu une correspondance intime avec une salariée de l’entreprise, n’est pas un motif suffisant pour justifier son licenciement. Si l’employeur peut toujours consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée.

Plan :

1.    Analyse de la décision de jurisprudence

2.    Arrêt de la Cour de cassation, Chambre sociale, rendu le 05/07/2011, rejet (10-17284)

Analyse de la décision de jurisprudence

En l’espèce, un employeur prend connaissance, à l’ouverture de mails non enregistrés comme personnel sur l’ordinateur appartenant à l’entreprise, de messages à caractère érotique et d’une correspondance intime entre deux salariés de l’entreprise. Il licencie pour faute le salarié destinataire de ces messages, en s’appuyant sur le règlement intérieur de la société qui prohibe toute utilisation des outils informatiques mis à disposition à toutes fins autres que professionnelles.

L’affaire est portée en justice. La Cour d’appel de Rennes juge sans cause réelle et sérieuse, le licenciement pour faute prononcé à l’encontre d’un salarié justifiant d’une ancienneté de 18 ans dans l’entreprise, pour avoir détenu dans sa messagerie professionnelle des e-mails à caractère érotique et entretenu une correspondance intime avec une salariée de l’entreprise. Elle condamne l’employeur à verser plus de 90.000 euros de dommages et intérêts au salarié.

Pour le juge du fond, à l’ouverture des mails non enregistrés comme personnels, l’employeur a nécessairement constaté que le contenu était d’ordre privé de sorte qu’il ne pouvait, sans la présence du salarié, prendre connaissance des pièces jointes associées, ni même sanctionner le salarié en raison du contenu de ces e-mails privés, non contraires à la loi ni aux bons usages en vigueur dans l’entreprise puisqu’ils n’avaient pas été diffusés.

La Cour de cassation approuve cette décision en rappelant que « le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée« , et que « si l’employeur peut toujours consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée« .

En l’espèce, les messages d’ordre privé étaient échangés par le salarié avec une collègue de l’entreprise. Ils étaient pour la plupart à l’initiative de celle-ci, notamment celui contenant en pièce jointe non identifiée des photos érotiques. L’intéressé s’était contenté de les conserver dans sa boîte de messagerie sans les enregistrer ni les diffuser, de sorte qu’il n’avait pas commis de faute justifiant son licenciement.

Arrêt de la Cour de cassation, Chambre sociale, rendu le 05/07/2011, rejet (10-17284)

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 11 mars 2010), que M. X…, qui était employé depuis le 1er février 1990 par la société Gan Assurances IARD en dernier lieu en qualité de responsable de domaine assurances de dommages, a été licencié le 17 octobre 2007 pour avoir détenu dans sa messagerie professionnelle des messages à caractère érotique et entretenu une correspondance intime avec une salariée de l’entreprise ;

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir condamné à payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen :

1) – Que les dossiers et fichiers créés ou conservés par le salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition sont présumés avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir librement accès à moins qu’ils aient été identifiés ou classés comme personnels ; qu’en estimant, après avoir constaté que les messages électroniques échangés entre M. X… et Mme Y… ne comportaient aucun objet ni référence, qu’ils devaient être considérés comme personnels de sorte que l’employeur ne pouvait consulter leur contenu, la cour d’appel a violé les articles 9 du Code de procédure civile et 1315 du Code civil, ensemble les articles L1232-1 et L1235-1 du Code du travail ainsi que les articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;

2) – Que, pour les mêmes raisons, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et a violé l’article 1315 du Code civil ;

3) – Qu’est fautif le comportement du salarié cadre supérieur qui laisse délibérément à la vue de l’une de ses subordonnées des messages électroniques ainsi que des clichés érotiques relatant sa vie intime et que cette faute peut être sanctionnée sans qu’il soit nécessaire qu’il fût résulté, pour la salariée concernée, un préjudice psychologique médicalement constaté, dès lors que la gravité d’une faute n’est pas nécessairement conditionnée par l’existence d’un préjudice effectif en résultant ; qu’en écartant le grief mentionné par la lettre de licenciement, pris de ce que M. X… avait laissé délibérément des messages intimes et des clichés érotiques à la vue de Mme Z…, au seul motif que le trouble psychologique subi par celle-ci n’était pas démontré, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants et a violé les articles L1232-1 et L1235-1 du Code du travail ;

4) – Qu’il en va d’autant plus ainsi que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat à l’égard de ses salariés, a l’obligation d’intervenir lorsqu’un cadre dirigeant fait preuve d’un comportement inconvenant à l’égard de l’une de ses subordonnées, sans attendre qu’un trouble psychologique soit médicalement constaté ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les articles L1221-1 et L4121-1 du Code du travail ;

5) – Que constitue une faute le fait, de la part d’un salarié et à plus forte raison d’un cadre dirigeant de l’entreprise, d’utiliser de façon régulière, pour sa correspondance privée et en contradiction avec les règles internes de l’entreprise, le matériel informatique mis à sa disposition par l’employeur ; qu’en statuant comme elle l’a fait sans rechercher si la fréquence de l’utilisation privée du matériel informatique de l’entreprise ne révélait pas que le salarié consacrait une partie substantielle de son temps de travail à des tâches autres que celles pour lesquelles il était rémunéré, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L1221-1, L1232-1, L1232-6 et L1235-1 du Code du travail ;

6) – Enfin et en toute hypothèse, que constitue une faute le comportement du salarié cadre supérieur qui entretient une correspondance intime régulière avec une salariée de l’entreprise en utilisant pour ce faire, en violation des règles internes en vigueur dans l’entreprise, le matériel informatique mis à sa disposition par l’employeur ; qu’à cet égard, est indifférent le fait que la majorité des messages fussent émis par son interlocutrice dès lors qu’il lui appartenait, en tant que cadre supérieur, de mettre un terme à ce manquement caractérisé au règlement intérieur de la société ; qu’en retenant, pour dire que les faits litigieux ne présentaient pas un caractère fautif, que la plupart des messages électroniques avaient été envoyés à l’initiative de Mme Y…, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants et a ainsi violé, pour cette raison supplémentaire, les articles L1221-1, L1232-1 et L1235-1 du Code du travail ;

Mais attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que si l’employeur peut toujours consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée ;

Et attendu que la cour d’appel, qui a relevé que les messages d’ordre privé échangés par le salarié avec une collègue de l’entreprise étaient pour la plupart à l’initiative de celle-ci, notamment celui contenant en pièce jointe non identifiée des photos érotiques, et que l’intéressé s’était contenté de les conserver dans sa boîte de messagerie sans les enregistrer ni les diffuser, a, nonobstant le motif erroné critiqué par les deux premières branches et répondant ainsi à la recherche prétendument omise, légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi ;

M. Bailly, conseiller faisant fonction de Président

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